A toi, mon ennemi...
Rom,
Tu ne recevras jamais cette lettre et pour cause... Ce n'est d'ailleurs pas la première que je t'écris. sera-t-elle la dernière ? Je l'ignore.
Comme j'aimerais juste revenir en arrière, à temps pour nous sauver tous les deux. Toi qui as volé une partie de mon âme et de mon corps, te voilà autant piégé que moi dans cet étrange terrain de jeu qu'est la justice. Crois bien que je n'ai jamais voulu tout ça.
Tu te souviens, Rom, de cette journée-là ? Tu te souviens de notre amitié, de notre complicité ? Tu te souviens de ma confiance et de mon envie de te venir en aide ? Et la crème brûlée, en as-tu oublié l'odeur ? Le goût, je ne l'ai jamais testé, pas eu le temps avant...
Tu te souviens de mon regard d'incrédulité quand tu as tout à coup déraillé, semblé être un autre ? Tu te souviens de ma peur, quand ta fantaisie t'a conduit à usurper ma pathologie et à tout à coup te '"dépersonnaliser" pour de faux, pour te présenter sous d'autres traits, celui d'un démon, prétendais-tu. un succube... Te souviens-tu de ce katana que tu as sorti, sous le rôle du gentil Rom, revenu à la réalité et prêt à se suicider pour éviter de me faire du mal ? Te souviens-tu de ma démarche clopinante, maudite jambe droite qui part en chips, pour t'arracher cette lame inutile, pour te sauver de toi-même ? Te souviens-tu de cette folie, pire que tout, qui t'a embrasé ? de ce retour au démon intérieur, de cette seconde "crise" ?
Te souviens-tu de mes maigres défenses ? Te souviens-tu de ta force, de ta facilité à me soulever ? Te souviens-tu de ces mots terribles que tu as prononcés : "Si tu me fais mal, si tu y parviens, ce n'est pas moi que tu blesseras, mais lui". Lui, l'alter ego, le gentil Rom, l'ami cher et précieux... Te souviens-tu de cette morsure infligée à ton épaule, pour tester? De ton ricanement, parce qu'en effet, tu n'avais pas mal, grâce à l'adrénaline qui devait courir dans tes veines ? De la facilité déconcertante avec laquelle, moi paralysée, tu m'as dévétue ?
Et dis-moi, Rom, tu te souviens de ces quelques minutes, juste après, ou semblant revenir à toi, comme d'un long sommeil, tu as embrassé d'un regard la situation, moi nue et toi au-dessus de moi ? De tes larmes, feintes ou non, de ton cri de désespoir ? Bravo, j'applaudis ton sens du drame, tu as réussi à me persuader de te protéger... Après tout, hein, tu étais malade... comme moi.
Te souviens-tu du reste de cette sinistre comédie ? Du retour de ton colocataire et complice ? De cette nuit d'horreur, coincée que j'étais dans ce maudit appartement, paralysée, cachée près de la salle de bain, volant le lit à l'autre homme, le faux protecteur, une fois celui-ci parti au travail, me laissant seule avec toi pour quelques heures, encore ? Tu te souviens qu'à six heures du matin, quand, abrutie par le manque de sommeil et la peur, je commençais enfin à fermer les yeux, tu es entrédans la chambre, hébété, pour me demander pourquoi je ne te faisais plus confiance ?
Te souviens-tu de tout ça Rom ? Et de mon départ avec ton coloc, qui m'a amenée à la gare et laissée en plan dans un fauteuil ? Après bien sûr, tu ne peux pas savoir... J'ai erré dans cette gare. Jusqu'au soir. Retour à Rouen et jeu de cache-cache auprès de mes proches, qui deviendraient sous peu lointains.
Plus tard, il y a eu d'autres souvenirs. Ceux-là, Rom, je ne les évoquerai pas dans cette lettre. Pas le courage, pas le cran. Tout ce que tu m'as fait perdre en deux mois...
Mais, pour cette journée-là, pour les cauchemars, les peurs, pour l'enfer que tu m'as aidée à construire, pour que d'autres ne tombent pas dans le piège de ta tendresse prédatrice, j'ai porté plainte. Et pour la même raison, je me bats aujourd'hui pour que nous nous affrontions face à un jury populaire.
Pas par haine. Je ne te hais plus. Pas par désir de vengeance. J'ai épuisé cette hargne-là aussi. Juste parce que la loi dit qu'un crime est passible des assises et que je veux que cela soit respecté. Parce qu'un viol n'est pas une tape sur les fesses et qu'on ne mélange pas serviettes et torchons. non que le terme d'agression sexuelle signifie une simple tape sur les fesses, hein. Ca recouvre juste une autre réalité que celle que nous avons vécue.
Mais nous sommes tous deux perdus dans une tourmente imprévue. Je te promets, Rom, que je n'ai pas voulu ces cinq ans de torture pour toi comme pour moi, ces errances d'un tribunal à un autre, d'une démarche à une autre. Je ne vais pas te mentir, je veux que tu sois puni. comment ? Je ne sais pas trop. Juste en me permettant de payer des soins sans cela inacessibles ? En allant en un lieu où je serai sûre que tu ne nuiras pas ? Ce n'est pas à moi de choisir.
Mais je n'ai pas souhaité cette mascarade. Pour toi aussi, ce doute doit faire mal. De cela, uniquement de cela, je te demande pardon. Ce n'était pas compris dans la punition... Et je suis infiniment désolée si je n'abandonne pas ce combat-ci.
Rom, toi qui en quelques instants a tout cassé... Tu ne liras jamais ces mots. Mais sache que je n'en retirerai aucun, ni n'en ajouterai, que si, comme je le crois, nous allons tout de même en correctionnelle, je ne te chargerai pas du manquement de ceux qui ont les dés en mains. Sans haine, ni peur... ou le moins possible. Je crois toujours que si on t'en donne la chance, après, tu pourras devenir quelqu'un de bien.
Je te salue, car tu restes digne de respect, malgré tes actes. Tant que je garde la force de ne pas voir en toi un monstre, je n'en serai pas un moi même.